Chacun a un certain nombre de rêves dont il s’occupe.[3]

       Homme de défis, habité par la force de ses rêves et le talent de les concrétiser, ce Don Quichotte des mers largue les amarres et quitte le ponton. Déterminé, courageux, persévérant, il s’adapte à toutes les météos et fait chanter ses voiles[4] sans trop se préoccuper du classement. Envahi par la joie de pouvoir enfin participer à cette course prestigieuse, la plus exigeante au monde, il met le cap sur l’aventure. Il savoure son présent exceptionnel à bord de son Jojo. Ce nom attribué à son bateau est celui que mon père donna à son avion aux îles Marquises. Voici les deux belges reliés par ce lien invisible de fraternité qui unit toutes celles et ceux qui même trop, même mal,[5] tente de réaliser leurs rêves.

A chaque fois qu’il tombe voilà qu’il se relève.[6]
       Homme de voile Denis sait que la mer ne fait pas de cadeau.Jour après jour, les avaries en tous genres font leur apparition. Le navigateur n’oubliera jamais les 29 mètres du mat à gravir courageusement pour réparer la girouette qui lui semble défectueuse. Les moments de joie mais ceux, plus nombreux, de doutes et de découragements s’entre-mêlent et tissent une dentelle de vie entre larmes, rires et tous ces efforts à fournir pour regarder ce qu’il y a de beau[7]. Dans son paysage d’écume, les images de bonheur mais aussi l’amertume des remords, doutes et regrets surgissent sur les flots de sa solitude. Denis combat les déferlantes de ces idées négatives qui s’imposent dans ses pensées. Elles emportent parfois le navigateur dans des tempêtes d’émotions qui lui déchirent le cœur. Le marin le sait, ce genre de périple fait aussi gîter nos âmes. La grande épreuve de Denis durant cette boucle maritime est d’affronter l’absence de contacts humains, le manque de visages, de regards, de poignées de mains, restés sur le quai.
       Mais il faut avancer, encore et encore, continuer, poursuivre. Le corps fatigué, Denis qui a appris à vieillir sans être adulte, progresse de lendemain en lendemain.  Sur la longue houle qui roule au vent[8], sur l’immensité des océans, le capitaine du Jojo dans l’intensité de son quotidien, durant un instant d’éternité, devient le point de rencontre entre l’infiniment petit de l’homme et l’infiniment grand des espaces traversés. Une valse de sensations bouscule l’aventurier.

J’aime que les hommes se groupent, se réunissent, aient autre chose qu’un ennemi commun, aient un rêve commun. [9] .
       Homme de cœur, Denis perdant tout repère horaires, persévère, et garde le cap vers la ligne d’arrivée. L’instant tant espéré devient synonyme de la réalisation de son rêve, de l’exploit réussit et de la joie à revoir sa merveilleuse équipe de bénévoles. Tous sont derrière lui depuis quatre ans, car Denis a le rêve contagieux.
       Bénédicte, Julien, Frédérique, Florent, Jean-Noël, Karine, Céline, Teiva et Hubert l’ont aidé à tout préparer.  Suivant le choix de Denis ils ont équipé le Jojo en matériels ayant déjà eu une première vie. Ce rêve de Denis est aussi le leur.

Il y a deux sortes de temps, le temps qui attend et le temps qui espère
Il y a deux sortent de gens, il y a les vivants et ceux qui sont en mer…[10]

       Homme de mer, Denis remonte les côtes françaises.
Ce 10 mars 2025, après 117 jours de navigation, le port des Sables-d’Olonne s’approche ! Et voilà les derniers mètres qui ramènent le Jojo au ponton du départ. L’homme, son rêve et son bateau reviennent d’un ailleurs et d’un autre temps, impossible à transmettre. Éreinté, épuisé, la fatigue plante son couteau dans ses reins et Denis fait celui qui est son souverain[11]. Il a rendez-vous avec son exploit !
Dans une exultation indescriptible il inscrit en lui cette expérience unique, cette aventure exceptionnelle. Elle devient sa richesse, son trésor et témoigne surtout de son incroyable courage.
       Après une dernière manœuvre à l’entrée du chenal, le grand pavois en bandoulière sur le cœur, impressionné par la foule qu’il découvre, l’aventurier, sous les acclamations et les fumigènes, laisse éclater sa joie, à s’en écarteler.[12]
       Au comble de l’émotion le navigateur découvre la centaine d’amis qui courent, crient, pleurent sur les quais. Erwan et Brieuc, ses fils, vivent des heures inoubliables, si fiers de leur père, ce héros. Les autres participants du Vendée Globe viennent saluer la prouesse hors norme du marin amateur.
       Transpercé d’émotion, Denis met pied à terre. Aux micros qui se tendent vers lui, il tente de trouver les mots pour évoquer son exploit.
Le navigateur commence à évoquer des moments indescriptibles mais ne pouvant maitriser sa sensibilité il nous offre cette merveilleuse phrase d’humanité : je vais passer ma journée à pleurer !

Merci à toi Denis pour ce témoignage de vie, cet exploit qui nous a bouleversé nous aussi !
Cette histoire merveilleuse, certes vécue dans le sacrifice, l’inconfort et les souffrances, t’a convaincu que chacun de nous porte en lui des trésors insoupçonnés.
Te voilà devenu semeur de rêves pour celles et ceux qui pensent que le monde sommeille par manque d’imprudence.[13]

France


[1] Interview de J.Brel 1968.10.10 Sonuma – RTB Spectacle
[2] Interview de J.Brel Brel parle 1971
[3] Interview de J.Brel 1968.10.10 Sonuma – RTB Spectacle
[4] La Cathédrale 1977
[5] La Quête
[6] Extrait de la comédie musicale de J.Brel L’Homme de la Mancha
[7] Il nous faut regarder
[8] La Quête
[9] Santelli 1968
[10] L’Ostendaise
[11] La Ville s’endormait
[12] La Quête
[13] Jojo

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