Spectacle de danse Brel d’Anne Teresa De Keersmaeker

Mais la musique, la poésie et l’univers passionnel du chanteur se prêtent-ils bien à la chorégraphie ? Peut-on danser sur du Brel ? Et si oui, quel Brel ? Celui de l’Olympia, ou celui plus tardif, des Marquises ?

Elle, la Flamande, danseuse et chorégraphe de formation classique, et lui, le danseur français, plus jeune de deux générations, jettent un pont entre la danse contemporaine et le breakdance. Ensemble, ils ont trouvé un point commun dans l’intensité et l’énergie que dégage Brel sur scène, pour créer un spectacle alternant solos et duos. De leurs différences sont nés des contrepoints, vecteurs de tension. La verticalité de De Keersmaeker, l’horizontalité de Mariotte. La chorégraphie pensée en amont de l’une, l’improvisation de l’autre. Un corps féminin vieillissant et un corps masculin jeune. Deux siècles aussi : le vingtième et le vingt-et-unième. De Keersmaeker danse Brel avec les souvenirs de son propre plat pays rural, le Bruxelles crasseux du siècle passé, ses amours et ses amitiés. Pour Mariotte, c’est l’énergie, le tout ou rien de Brel qui lui est familier et qui l’anime.

Reste un troisième personnage dans cette performance : Jacques Brel lui-même, à la fois absent et présent, à travers sa musique et ses textes. Le cercle lumineux de la scène reste vide, mais sa musique et sa poésie emplissent l’espace et deviennent visibles dans la danse. Sa présence frénétique sur scène, ses mimiques quelque peu burlesques, parfois à la limite du trop, mais toujours tolérées par le public – car tout de même, c’est Brel. Sans oublier ses thèmes intemporels qui interpellent le monde d’aujourd’hui : la solitude et l’amitié, l’amour et la guerre, l’enfance et l’âge adulte. Ses textes à la fois denses, poétiques et souvent politiques, convoquent toute une palette d’émotions et d’ambiances et résonnent très différemment dans le monde d’aujourd’hui. Les deux chorégraphes ne rendent pas hommage à Brel, mais cherchent, chacun à leur manière, à incarner le chanteur emblématique qu’il était, avec la même générosité totale, le même abandon affectueux envers le monde, envers le public, et cette volonté de tout donner, à bras ouverts, sous la lumière de la scène.

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