| France continue à vous présenter les intentions de la chronique qu’elle écrit et l'illustre par un extrait
Mon père l’a souvent
exprimé et chanté, l’un de ses plus grands regrets est celui d’avoir vécu la
guerre. Le contexte politique dans lequel il grandit durant cette période de
conflit a laissé des traces inoubliables. Les discours, les offensives, la propagande de l’ennemi, les restrictions,
l’exode de nombreux belges, les déportations, l’organisation de la Résistance, les
séparations, les chagrins, les deuils, les bombardements sur Bruxelles ont
marqué le quotidien de la famille Brel et celui de Jacques.
Durant l’été 1940, à Bruxelles, les
Allemands sabotent
les locaux de la Radio belge, l’INR, (Institut National de Radiodiffusion).
L’occupant place des émetteurs plus mobiles demandant au personnel de rester et
de travailler comme avant. C’est la naissance de Radio Bruxelles, la
station collaborationniste. Ses ondes diffusent des émissions de
divertissement entrecoupées de nombreux messages de propagande et d’annonces
diverses adressés aux Belges sur les routes de l’exode pour les informer que,
sans crainte, ils peuvent revenir au pays. Au nom de tous
les Belges demeurés ou revenus en Belgique, nous lançons cet appel, destiné à
tous les Belges réfugiés en France. […] Depuis des mois nous vous attendons, depuis des mois
l’inquiétude et l’angoisse se sont installées dans vos foyers. Où
êtes-vous ? Que faites-vous ? Pourquoi ne revenez-vous pas ? […] Les soldats, les jeunes
gens, les civils peuvent revenir librement en Belgique. […] Dès la frontière ils s’adresseront en toute quiétude
aux autorités allemandes qui les aideront à rejoindre la mère patrie. […] Quant aux mensonges officiels ou non, ne leur accordez plus
qu’un mépris absolu. Tout cela est fini, tout cela est révolu. Tout cela c’est
le passé. La Belgique de demain, la Belgique que vous nous
aiderez à reconstruire est un pays nouveau, où il règnera plus d’ordre, de
justice et de solidarité que jadis[1]. Cherchant à accentuer encore la
« bonne foi » de ces annonces vantant « ce nouveau pays à
construire », Radio-Bruxelles
diffuse de nombreuses chansons, peut-être avec l’intention d’endormir les
consciences. Les programmateurs offrent généreusement à leurs auditeurs des
romances comme ce célèbre duo de Mireille et Jean Sablon, Puisque vous partez en voyage. Le 14 septembre 1940 alors que l’envahisseur tente de convaincre les Belges, chez les Brel,
le début de ce mois de septembre est douloureux. À peine sortie de l’inquiétude
dès le retour de Pierre, ma grand-mère retrouve le goût amer des larmes et
pleure le décès de sa sœur Catherine, la marraine de Jacky. La famille Vanneste n’est pas
épargnée non plus. Léontine, la sœur de Romain, enterre son fils aîné Herman,
qui, âgé de trente-trois ans, travaillait à l’usine et représentait la nouvelle
génération. Pourvu que nous vienne un homme[2] En réponse à ces messages de
propagande, à Londres dans les locaux de la BBC dont l’écoute est interdite par
les Allemands, une émission destinée à la population belge s’organise. Le 28 septembre 1940 marque le début
des émissions quotidiennes en direction de la Belgique, diffusées
alternativement en néerlandais et en français. Cette date ne doit rien au hasard.
Elle est choisie parce qu’en 1918 elle marqua le début de l’offensive
libératrice de l’armée de l’Yser dans les Flandres. Georges Wauters, speaker
au service information, présente le créateur de Radio-Belgique,
Victor de Laveleye. C’est un fonctionnaire du ministère de
l’information britannique dénommé Nicholson qui écoutant un jour Radio-Bruxelles
et ayant été scandalisé par les propos entendus à cette radio concernant l’ambassadeur Cartier de Marchienne et
le gouverneur belge, qui a jeté l’idée de créer une radio pour les Belges à
Londres.
[…] C’est Victor de Laveleye qui a été choisi pour parler aux
Belges en pays occupé. […] Il fallait combattre cette propagande qui était
odieuse.
[…] Il fallait
aussi faire savoir, ce qui était essentiel, au pays occupé, qu’il n’était pas
seul, que les Anglais poursuivaient la guerre et que si les jours étaient
encore sombres, il y avait tout de même un espoir de voir un jour les
États-Unis se joindre à l’effort britannique. Nous avons eu au départ une
émission le soir, vers les 7 h. 30 du soir. Un quart d’heure pour les Belges
d’expression française et un quart d’heure pour les Belges d’expression
néerlandaise[3]. Reprenant comme générique les premières notes de la IXe
symphonie de Beethoven, pour soutenir le moral des civils restés au pays, un jour sur deux, Victor de Laveleye s’adresse aux
Belges sur Radio-Belgique. Ils sont très nombreux, de l’autre côté de la Manche, à
écouter la diffusion de ces messages et encouragements. Chacun apprécie cette
voix de la liberté espérée qui conclut toutes ces émissions par cette
formule : Et chaque jour notre voix toute proche vous dit : Courage on les aura les Boches ! En septembre 1940, dans cette atmosphère de drames familiaux et
d’informations macabres, fruits de la folie des hommes qui envahit toute
l’Europe, Pierre retourne sans grand enthousiasme sur les bancs du collège,
fréquentant désormais l’institution des Joséphites à Louvain. Récemment confronté aux difficultés
et aux épreuves, Pierre a rencontré une version plus exaltante de la vie que
ces heures passées sur les bancs d’une salle de classe. Dès la reprise de ses
études, il s’ennuie et travaille peu. Nourrissant plus que jamais leur
projet de succession filiale pour l’avenir de leur société, son père et son
parrain Amand, constatant la léthargie de Pierre devant ses livres scolaires,
et toujours sous le choc du décès d’Herman, décident que le jeune homme prendra
le chemin de la cartonnerie familiale.
À suivre…
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