JEF 
Décembre 2021

Une flamme en leur cœur[1]

En novembre dernier, ma route me ramène dans le Pas-de-Calais, à Outreau, au Centre Jacques Brel qui fête ses 40 ans d’activité. Je profite de ma présence dans ce coin de France pour y retrouver Juliette, la fille de Vic, un ami que Jacques rencontre aux Canaries en 1973. 

C’est en septembre 1974 en arrivant aux Açores avec notre bateau, que je fais la connaissance de Juliette, jeune femme de mon âge, belle, dynamique et sensible. Mais à ce moment-là, elle se prépare à revenir en Belgique et nous nous perdons de vue tandis que Vic et mon père, éternels voyageurs assoiffés de liberté, comme ils l’avaient rêvé un an plus tôt lors de leur rencontre, naviguent durant plusieurs mois sur leurs voiliers respectifs au gré de leurs envies, des Antilles aux Îles Marquises. 

Après toutes ces années sur les routes de nos destins, Juliette et moi nous nous retrouvons par une belle journée d’automne, en ce mois de novembre 2021, le temps d’une superbe balade sur cette belle Côte d’Opale balayée par les embruns, à la fin de laquelle nous nous donnons rendez-vous pour la soirée, espérant continuer à évoquer nos vies et nos souvenirs. En quelques heures, je retrouve l’élégance de sa simplicité, ses enthousiasmes et le regard vif et généreux de son père, homme de cœur et marin exceptionnel que j’apprécie tant.  

À l’heure convenue, toutes joyeuses à l’idée de partager encore un beau moment, alors que l’obscurité recouvre la ville depuis plusieurs heures, marchant l’une vers l’autre, et nous nous retrouvons - l’image me touche - au milieu d’un pont.  

 À cet instant, longeant le parapet, un groupe d’hommes vêtus sombrement avance silencieusement, discrètement, se fondant dans l’obscurité. Le temps de prendre conscience de leur présence qui glisse ainsi dans la nuit, nous comprenons qu’ils marchent vers leur destin, vers leurs rêves de rejoindre l’Angleterre ce soir peut-être, pour profiter du calme de la mer et de la pleine lune… La scène est singulière. Filles de nomades, Juliette et moi concentrées en cette journée sur notre passé nous croisons sur ce pont ces pèlerins du bout du monde, tournant le dos à leur histoire, aux tragédies de leurs vies et à ces pays qui sont de barbelés[2]. Alors que nous allons passer la soirée à évoquer nos souvenirs vieux de plus de 40 années, je ressens en ces hommes leur désir d’oublier les leurs, ne fixant leur regard que vers demain. Ce pont devient tout à coup, l’instant d’un croisement symbolique entre ceux-là qui ne songent qu’à leur avenir et celles qui riches de leurs passés, vont consacrer la soirée à les raconter. Mais les uns et les autres portent tous une flamme en leur cœur. 

Nous saluons les hommes de ce groupe anonyme, avec l’intention de les encourager, à quelques heures de vivre, à leur tour, ce bonheur de retrouvailles avec ceux qui les attendent au-delà de ce bras de mer qu’il leur reste à traverser, au péril de leur vie. Nos voix dans l’obscurité expriment comme elles le peuvent, le respect qui déborde de nos cœurs. Ils sont nombreux à nous répondre et leurs sourires et regards éclairent alors merveilleusement leurs visages, devenus inoubliables. Je repense souvent à ces hommes, riches de leurs espoirs entre leur immense courage d’avoir tout quitté, tenant d’une main ferme leur petit plastique blanc qui brille dans la nuit et qui contient toute leur vie.

France Brel

Vic Waroquier sur le Kalais en 1975

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

France continue à vous présenter les intentions de la chronique qu’elle écrit et l'illustre par un extrait

 La trajectoire de nos vies évolue toujours et par la force des choses, dans un contexte particulier, se mêlant de près ou de loin aux destins de certains contemporains. Dans mon récit de la vie de Jacques, j’ai souhaité les évoquer à certains carrefours de leurs propres itinéraires sans attendre le moment où ils croiseront la route de mon père. Dans l’extrait du récit que je vous propose ci-dessous, j’en évoque certains. 

Sensible au succès remporté par les représentations de la pièce Yvonnik, l’abbé Dechamps, très satisfait de sa jeune troupe, médite un projet, celui de voyager avec ses jeunes comédiens durant les vacances d’été à venir. Pourquoi ne pas sillonner les routes de Flandre et des Ardennes, enfin libérées, pour aller y présenter leurs spectacles ? Son idée est de faire jouer les garçons pour apporter un peu de distraction au bénéfice d’actions caritatives. L’abbé prend de nombreux contacts pour organiser sous sa responsabilité cette tournée à vélo°, sur les routes du pays.

****En ce mois de mars 1945, à Paris, le jeune et timide Lucien Ginsburg fête ses dix-sept ans et décide d’arrêter ses études au lycée Condorcet. Il continue toutefois avec passion ses cours de dessin et de peinture à l’académie Montmartre.

« Mon père m’a fait comprendre qu’il était temps de songer au jour où je devrais subvenir à mes propres besoins. […] C’est un gitan qui m’apprit à jouer de la guitare. […] Place Pigalle, on stationnait en attendant qu’on nous désigne du doigt pour un bal le samedi soir. […] Mon père me poussait, me mettait sur des coups parce qu’il était bien placé, il a fait toutes les boîtes de nuit de Pigalle[1]. »  

Ce 8 avril 1945, Jacky fête ses seize ans. De plus en plus passionné de musique, il souhaite recevoir à l’occasion de son anniversaire de la part de sa douce et tendre tante Ninie, une petite reproduction du compositeur particulièrement apprécié pour le moment : Beethoven. Sans attendre, mon père  accroche le portait en médaillon au mur de sa chambre. Il apprécie la fougue passionnée du compositeur romantique et tourmenté, qui, depuis l’enfance, refuse de replier les éclats de sa personnalité rebelle.

« Beethoven le géant, le généreux mais, aussi le douloureux, le solitaire, le mystérieux Beethoven… Avec Beethoven le révolutionnaire, le musicien prend la place qui lui revient dans la société. Haydn et Mozart portaient encore la livrée mais Beethoven rejette et la perruque et la livrée. Un désir brûlant de liberté, de vérité animait déjà Beethoven alors qu'il n'avait encore que dix-sept ans. Il note alors dans son journal : « faire le bien où l'on peut, aimer la liberté au-dessus de tout, ne pas faillir à la vérité, fût-ce devant un trône. » Voilà des sentiments qui devaient scandaliser bien des perruques poudrées dans l'Allemagne de 1787[2]. » 

Autour de Jacky, le monde change, bascule. Une page de brouillard, couleur de ténèbres, lourde de chagrins de deuils et d’abominations se tourne. La fin des conflits armés donne l’occasion à la Belgique d’élaborer une importante réforme sociale, instaurant son nouveau système d’assurance maladie-invalidité. Malheureusement, les restrictions alimentaires deviennent encore plus sévères que durant les années de guerre. La ration de viande passe désormais à 20 grammes par jour.

Le 30 avril 1945, la radio de Milan annonce la condamnation à mort de Mussolini.

Le 1er mai 1945, la radio allemande annonce la mort du führer.

Le 7 mai 1945, la famille royale belge est libérée par les soldats de la VIIe armée du général Patch[3].

Le 9 mai 1945, au lendemain de la capitulation de l’Allemagne, le roi Léopold III songe à son retour en Belgique pour remonter sur le trône. Ce projet divise le pays alors qu’en France, tous reprennent le refrain de la nouvelle chanson de Maurice Chevalier, Fleur de Paris, véritable symbole chanté de la libération[4].

****La France à une envie folle de danser. À Paris, dans de nombreux quartiers, sur l’Île de la Cité, sur les bords de la Seine, les Parisiens retrouvent la joie de vivre, de s’aimer. Et le jazz, qu’on appelle encore le swing, commence à s’imposer. Ce nouveau rythme symbolise la liberté, l’émancipation, la transgression aussi, incarnée par un personnage, Boris Vian, si attachant, si intelligent, si passionné de jazz que Jacques Canetti l’engage dans sa maison de disque Polydor. Le soir, Boris part jouer de sa trompinette dans les caves de Saint-Germain-des-Prés. 

****Certains soirs, il est accompagné par Édouard, ce jeune pianiste un peu maladroit.

« On a commencé tout petit dans le même orchestre, ou presque. Lui jouait de la trompette. C’est un amateur de jazz et moi je jouais du piano, enfin j’essayais de jouer du piano à vrai dire je n’en ai jamais très bien joué[5]Au lendemain de la guerre, à la libération, j’étais un pianiste qui avait décidé de changer de nom parce que Ruault c’était bon pour une marque de voiture comme Renault. Ce nom n’est pas vraiment bon pour un pianiste de jazz qui est totalement tourné sur la musique américaine et qui va en faire son métier en tant que pianiste et en tant que chef d’orchestre. Alors un jour j’ai mis des noms sur un papier et puis j’ai trouvé que Barclay sonnait bien dans toutes les langues et que ça faisait vraiment très anglo-saxon. C’est un nom qui m’a plu[6]. » 

**** En mai 1945, à Paris, la jeune Juliette Gréco, âgée de dix-huit ans, qui fréquente elle aussi, à la nuit tombée, les caves de Saint-Germain-des-Prés, hante aujourd’hui le grand hall du bel hôtel Lutetia° dans le 6e arrondissement, devenu depuis la libération, un centre d’accueil pour les déportés et les prisonniers qui reviennent de l’horreur. Sans nouvelles de sa mère et de sa sœur depuis des mois, elle scrute les visages livides et amaigris qu’elle croise.

« Je suis au milieu de la foule du hall central, quand une main se pose sur mon épaule. Je me retourne. Je ne vois que son visage chéri, ce visage de jeune fille, celui de ma sœur. Elle est là, enfin… Elle a l’air si malade, si fatiguée… J’entends la voix de ma mère. Elle est là, elle aussi. La mère que j’attends depuis si longtemps est revenue[7]. » 

En juillet 1945, ce climat de retrouvailles, de libération et d’émotions inoubliables ne libère en rien Jacky de ses difficultés scolaires. Ses résultats sont peu fameux en cette fin d’année. Les commentaires mentionnés dans ses bulletins sont sans équivoque. À l’issue du premier trimestre, son titulaire mentionne un piètre résultat de 24/100 en flamand. Au second trimestre, nous lisons sur son bulletin que Jacky a mieux travaillé, mais la sentence tombe en ce début d’été : il doit doubler malgré ses premières places en composition française et en élocution. Ayant bien compris que son père lui réserve une place à la cartonnerie, Jacky n’est pas très perturbé à l’idée de recommencer son année, ne pensant plus désormais qu’au voyage de l’été qui s’organise dans la joie.

En août 1945, les baladins randonneurs fixent leurs valises sur leurs porte-bagages et quittent Bruxelles sous la responsabilité de l’abbé. Durant le voyage, il n’est pas toujours facile pour les jeunes gens d’afficher chaque jour leur bonne humeur. La fatigue des uns et des autres, les nombreux soucis logistiques et mécaniques qui s’accumulent, augmentent les tensions au sein de l’expédition. L’ami de Jacques, Robert Stallenberg, est désigné responsable du ravitaillement.

Une image contenant photo, regardant, miroir, avant

Description générée automatiquement« Nous avons traversé toutes les Ardennes à vélo. On est descendu jusqu’à Habaye-la-Neuve par étapes successives. C’était une balade de trois cents kilomètres en tout, avec toute la troupe. Il y avait des tensions et des bagarres car nous n’arrêtions pas de crever. Comme j’étais intendant, tout le monde venait réclamer chez moi car ils trouvaient qu’il n’y avait pas assez à manger avec le tout petit budget. Jacques râlait, tonitruait. C’était dur[8]. » 

À suivre… 

 
 
 Yvonnik 
 
 
 
 


Histoire de la Fondation Brel en 12 épisodes
Episode 12/12

 
 
 

De 2018 à 2021

Depuis 2017, je souhaite réorganiser nos locaux d’exposition. Mon intention est d’offrir aux visiteurs la possibilité de découvrir une partie de nos archives grâce à l’arrivée des nouvelles technologies… lire la suite

 
 
 Episode 12/12 
 
 
 
 

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Pendant ce mois de novembre, les oeuvres de Jacques Brel ont inspiré… 

 
 
 

La Chanson des vieux amants 

Pour l'émission de télévision STAR ACADÉMIE 2022. L’école de musique accueille des jeunes artistes de la relève de tous les horizons. Le corps professoral, dirigé par la directrice Lara Fabian, les accompagnera pour leur donner tous les outils nécessaires afin de se réaliser comme artistes tout au long de leur séjour à l’Académie et se livrer à des performances époustouflantes lors des variétés du dimanche soir.

J'aimais

Dans un documentaire de création, par Salvatore Finocchiaro.

Mathilde

L’enregistrement de Scott Walter repris dans l’épisode 104 de la prochaine série Amazon "Outer Range". 

Amsterdam 

Une traduction anglaise de Paul Roddie, publiée par l’Université d’Oxford dans la revue Modern Poetry in Translation, qui est spécialisée dans la traduction des plus grands poètes internationaux et qui fait référence dans le monde anglophone et bien au-delà.


J'arrive

Dans un documentaire américain réalisé par Joan Baez.

Plusieurs titres de Jacques Brel

Un an après le succès de son album « Terrien », Julien Clerc revient avec un disque de reprises, « Les jours heureux », où l’on retrouve des classiques de Bécaud, Barbara, Brel, etc. Il sera en concert à Agen et Narbonne en mars 2022 puis au Zénith de Toulouse en novembre.

Ne me quitte pas

C'est dans le cadre de la sortie de son deuxième album solo que Damon Albarn était l’invité de Nagui dans "Taratata" il y a quelques semaines. Il a surtout marqué les esprits en partageant la scène avec son invitée Fatoumata Diawara, avec laquelle il a livré une très belle interprétation de "Ne me quitte pas" de Jacques Brel. 

 
 
 Damon Albarn / Fatoumata Diawara "Ne Me Quitte Pas" (Jacques Brel) (Extrait) (2021) 
 
 
 
 

Agenda

 
 

L’Amour flou sur Canal +

Série humoristique de 9 x 30‘ qui constitue en quelque sorte la suite du film. Romane Bohringer et Philippe Rebbot, qui ont écrit la série, sont des grands admirateurs de Jacques Brel. Ils ont donc imaginé que le personnage de Philippe Rebbot dans la série (joué par lui-même comme dans le film) créait un spectacle sur Jacques Brel, où il racontera sa vie et reprendra certaines de ses interviews.

 
 
 L'AMOUR FLOU LA SERIE Bande Annonce VF (Canal+, 2021) Romane Bohringer, Philippe Rebbot 
 
 

Le Plat Pays qui fut le tien

Hommage photographique à Jacques Brel, par Charles  Henneghien. Préface de Fadila Laanan.


 
 

Les Monsieur Monsieur - Ni Brel, ni Barbara

Le samedi 4 décembre à 20h30 au théâtre de Cordemais. 
Un hommage autour des œuvres et déclarations de Brel et Barbara, un hymne à l’amitié, à l’identité. Une comédie inspirée de faits réels qui mène le spectateur d’un monde à l’autre, entre souvenirs, nostalgie, rires et réalités. 


 
 

Olivier Laurent - Brel ! Le spectacle 

Le samedi 11 décembre à 20h au Théâtre Royal de Mons.
Conçu et dirigé par le Niçois Gil Marsalla, et interprété par le Belge Olivier Laurent, ce spectacle-hommage au grand Jacques a déjà conquis le monde entier.


 
 
 
 
 

Vos témoignages

« Merci France pour nous avoir fait partager ces moments magiques. Merci Jacques pour ce que tu m’as apporté durant toutes mes années et encore aujourd’hui. Merci à la Fondation pour sa sauvegarde de tous ces souvenirs. » Dolores

« Un partage de souvenirs personnels extrêmement riches. Dubitatifs à l’idée d’utiliser des tablettes, l’idée est finalement intéressante car on va ainsi seul(es) à la rencontre de Monsieur Brel. Merci pour ce moment. » Isabelle

« Très intéressant, on découvre Brel, sa famille, sa vie. Beaucoup de travail de recherches, de montages… d’interviews. » François

« Un film qui permet d’y voir plus clair derrière le mythe… Merci. » Victoria

 
 
 J'ARRIVE Bande annonce (2021) 
 
 
 
 

             

 
 
 

© Fondation Jacques Brel d’utilité publique 2018.

 
 
 
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